무슨 계기 때문인지는 모르겠지만 르몽드의 '이번주의 책' 코너에서는 맑스-엘겔스의 <공산당 선언>(1848)을 다루고 있다. 두 명의 전문가에게 이 책의 의미와 과제 등에 대하여 들어보는 인터뷰 기사와 간단한 '책소개 박스 기사'가 그것이다. 인터뷰기사에서 흥미로운 부분만 살펴본다 (내맘대로 대충번역) :
[둘째문단] 1844년에 헤스(Moses Hess)가 <공산주의 교리문답>을 발간했었는데, 1847년 11월에 엥겔스는 맑스에게 '교리문답'을 폐기하고 그것을 '공산주의 선언'으로 부르자고 제안한다. <교리문답>이 비밀사회단체의 선전서클을 지향했다면, <선언>은 전 세계를 향한 공산주의의 정면 공포(선포)에 나섰다는 점에서 차이가 있다. 그렇게해서 1848년에 <공산당 선언>이 탄생하는데, <선언>의 초기 명칭은 <공산당 선언>이었으나 1872년 독일어판부터는 <공산주의 선언>이 됐다고 한다. 왜냐하면 1852년에 벌써 '공산주의자 연대 정당'의 해체를 제안한 맑스는 "현대사회의 곳곳에서 우발적으로 연속하여 탄생하는 프롤레타리아계급의 자생적 조직화"에 기초하는 정당을 "하루살이 단명의 정당"과 엄격히 구별했기 때문이다. 즉 <공산주의 선언>은 기존의 도식적 틀로서의 정당이 아니라 프롤레타리아계급의 자생적-우발적-영속적 조직화를 목표로 했다는 말이겠다.
« Moses Hess, surnommé le "rabbin communiste", publie en 1844 un Catéchisme communiste par questions et réponses. [...] Engels suggéra à Marx dès novembre 1847 "de laisser tomber la forme catéchisme et d'appeler ça "Manifeste communiste"". A la différence du catéchisme, destiné à des cercles de propagande ou à des sociétés secrètes, le Manifeste se veut une proclamation "à la face du monde entier". Son titre initial, Manifeste du parti communiste, ne devient Manifeste communiste qu'à partir de l'édition allemande de 1872. Marx, qui proposa lui-même de dissoudre la Ligue des communistes en 1852, faisait très bien la différence entre "le parti compris dans le sens tout à fait éphémère" et le parti qui "naît partout spontanément du sol de la société moderne", c'est-à-dire de l'organisation spontanée du prolétariat en classe. »
또 하나 흥미로운 것은 바디우와 지젝에 대한 비판 부분이다 :
[밑에서 둘째문단] 맑시즘의 가장 풍요로운 대목은, 그 이론이 의식이나 의지의 단순 표출행위에 머물지 않고 실천을 스스로의 논리로 무장한 '실천적 유물론' 이라는 것이다. 즉 스스로의 역사를 만들어가는 인간은, 그 역사가 실재 역사의 우발성으로부터 무차별적인 영원한 이념이나 무규정적 가정으로나 가능한 그런 역사(공산주의)를 만드는 것이 아니라, 주어진(부여된) 주변역학(circonstances-정황) 속에서 구체적 역사를 산출해내야 한다는 말이다. 그런데 바로 이 전자의 공산주의(이념과 가정에 의한)를 방어하는 사람들이 있으니, 바로 바디우와 지젝이 그들이다. 그들의 그런(살찐-배부른) "구원적(祈願) 맑시즘"은 단순한 수사학적 경배(hommage)로 점철되고[한마디로 '말로만 하는 공산주의'라는 것], 결국은 강력한 종교적 범주 속의 이상주의(관념주의)로 회귀할 가능성이 농후하다.
« Le plus fécond chez Marx, c'est l'idée que, loin d'être la simple projection d'une conscience ou d'une volonté, les pratiques ont leur logique propre qui fait que leur résultat échappe souvent au contrôle des acteurs eux-mêmes : les hommes font leur propre histoire, mais ils la font dans des circonstances données. Si l'on reste fidèle à ce "matérialisme des pratiques", on ne peut que s'interdire de faire du communisme une hypothèse indéterminée ou une idée éternelle indifférente aux contingences de l'Histoire réelle. Cette conception, notamment défendue par Alain Badiou et Slavoj Zizek aujourd'hui, nourrit un "marxisme d'invocation" qui, sous couvert d'un hommage purement rhétorique, en revient à un idéalisme à forte dimension religieuse. »
[인터뷰] "Une mise en scène de la révolution"
LE MONDE DES LIVRES | 04.02.10 | 12h42
Les livres qui ont changé le monde (19/20) - "Manifeste du parti communiste", de Marx et Engels vu par Pierre Dardot, philosophe et Christian Laval, sociologue
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Pierre Dardot et Christian Laval (1) : Ce succès est dû en grande partie au caractère performatif du texte, comme l'a bien montré le philosophe Jacques Derrida dans Spectres de Marx (1993) : le Manifeste, loin de constater une situation (la montée des révolutions), en appelle à un avenir qu'il accomplit lui-même par sa publication. Les communistes "opposent à la légende du spectre du communisme un manifeste du parti lui-même" et, ce faisant, font littéralement exister le communisme comme parti. Le "parti" dont il est question n'est pas la Ligue des communistes elle-même, qui n'en est qu'une incarnation éphémère, mais justement quelque chose qui n'existe pas encore, à savoir une association internationale de travailleurs agissant au grand jour.
Pourquoi Marx et Engels ont-ils choisi la forme du manifeste alors que prédominait à l'époque celle du "catéchisme révolutionnaire" ?
Le catéchisme est l'exposé d'une doctrine sous la forme de demandes et de réponses. Moses Hess, surnommé le "rabbin communiste", publie en 1844 un Catéchisme communiste par questions et réponses. On discutait alors beaucoup de divers projets de "profession de foi communiste". Lui-même auteur d'un contre-projet intitulé Principes du communisme, qui sacrifie encore à la forme des questions et des réponses, Engels suggéra à Marx dès novembre 1847 "de laisser tomber la forme catéchisme et d'appeler ça "Manifeste communiste"". A la différence du catéchisme, destiné à des cercles de propagande ou à des sociétés secrètes, le Manifeste se veut une proclamation "à la face du monde entier". Son titre initial, Manifeste du parti communiste, ne devient Manifeste communiste qu'à partir de l'édition allemande de 1872. Marx, qui proposa lui-même de dissoudre la Ligue des communistes en 1852, faisait très bien la différence entre "le parti compris dans le sens tout à fait éphémère" et le parti qui "naît partout spontanément du sol de la société moderne", c'est-à-dire de l'organisation spontanée du prolétariat en classe.
"Un spectre hante l'Europe : c'est le spectre du communisme"... La dramaturgie du texte, qui résume toute l'histoire mondiale par la lutte entre oppresseurs et opprimés, est saisissante. Pourquoi une telle mise en scène ?
Le Manifeste veut montrer que le communisme s'identifie au mouvement historique en cours, "le mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses". D'où le tranchant des formules et le souffle qui le traverse. Il met en scène la "révolution en permanence" : la bourgeoisie a inauguré un bouleversement qui finira par la supprimer elle-même. Il noue et condense des idées de diverses provenances. L'idée de la lutte entre les classes est bien antérieure à 1848. C'est l'historiographie libérale qui, durant la Restauration, en a fait la clé des progrès de la civilisation européenne. Marx ne s'est jamais caché de cet emprunt à François Guizot ou à Augustin Thierry. L'idée du remplacement de l'antagonisme des classes et des nations par l'association universelle des travailleurs vient des disciples de Saint-Simon. Mais l'énergie qui porte tout le texte tient à l'objectif qu'il assigne au mouvement prolétarien : la suppression de la propriété privée et la destruction de l'Etat.
En quel sens les régimes qui se sont réclamés du "Manifeste" peuvent-ils être considérés comme communistes ? Dans quelle mesure les pays dits "marxistes-léninistes" ont-ils selon vous entaché le communisme ?
On serait tenté de répondre : en aucun sens. En effet, les moyens de production devinrent propriété de l'Etat, mais l'Etat devint la propriété privée du parti. Il y avait donc peut-être une propriété d'Etat, mais en aucun cas une "propriété commune". La seule chose "commune" était sans doute la misère et l'oppression, comme si s'incarnait là tragiquement ce que le jeune Marx avait appelé le communisme "grossier", celui qui institue la communauté en unique propriétaire privé et nie toute individualité. Si le "marxisme-léninisme" a "entaché" le communisme, c'est donc en parvenant à persuader que le "commun" se confondait avec ce qui était imposé par l'Etat. Cependant, on ne peut ignorer qu'il y a chez Marx lui-même une conception réductrice de la politique comme violence, notamment comme exercice de la coercition par le moyen de l'Etat, qui a pesé lourd jusque dans la pratique des régimes qui se sont réclamés de lui.
Après la chute du Mur de Berlin, il était d'usage de proclamer la mort de Marx. Or aujourd'hui, avec la crise économique, Marx revient. Comment expliquez-vous ce retour qui s'effectue aussi bien du côté des essayistes libéraux que des penseurs radicaux ?
Signe des temps, le marketing éditorial recycle les proscrits d'hier, Marx en tête. On célèbre en lui le prophète de la mondialisation, négligeant en cela sa critique implacable du capitalisme. Mais on peut aussi relire sérieusement Marx, non pour le "sauver" ou pour l'"actualiser", mais pour s'expliquer avec lui. On perdrait aussi quelques précieuses leçons politiques à l'ignorer ou à le contourner. La simplification de l'antagonisme entre bourgeoisie et prolétariat, idée que l'on a prise un peu vite pour une prédiction sociologique, relève plutôt de la polarisation des camps qui s'affrontent et du travail de composition des forces qui s'impose dans le combat. Cette polarisation requiert, comme Marx l'avait compris, un objectif stratégique, celui qui a tant manqué au chartisme anglais. Un tel objectif fait aujourd'hui cruellement défaut.
Quels sont les usages théoriques et politiques de Marx les plus féconds aujourd'hui ? Et en quel sens le communisme est-il une hypothèse, une idée à réactiver ?
Le plus fécond chez Marx, c'est l'idée que, loin d'être la simple projection d'une conscience ou d'une volonté, les pratiques ont leur logique propre qui fait que leur résultat échappe souvent au contrôle des acteurs eux-mêmes : les hommes font leur propre histoire, mais ils la font dans des circonstances données. Si l'on reste fidèle à ce "matérialisme des pratiques", on ne peut que s'interdire de faire du communisme une hypothèse indéterminée ou une idée éternelle indifférente aux contingences de l'Histoire réelle. Cette conception, notamment défendue par Alain Badiou et Slavoj Zizek aujourd'hui, nourrit un "marxisme d'invocation" qui, sous couvert d'un hommage purement rhétorique, en revient à un idéalisme à forte dimension religieuse.
De quoi le communisme est-il, selon vous, le nom ?
Il faut être prudent s'agissant de l'avenir d'un nom qui a désigné et désigne encore des pouvoirs d'Etat d'autant plus monstrueux qu'ils font régner l'exploitation capitaliste la plus féroce. S'il peut devenir de nouveau un mot de l'émancipation, c'est à la seule condition de défaire l'identification du "commun" à l'étatique, longtemps perpétuée par les partis "communistes". Le commun compris en ce sens ne désigne pas un "bien" dont on fait un usage commun (l'air, l'eau, ou l'information), il est d'abord et avant tout ce que des individus font exister par leurs pratiques lorsqu'ils mettent en commun leur intelligence, et ce qu'ils défendent contre toute tentative de privatisation et de mise en marché. "Communisme" doit donc faire entendre l'idée que l'émancipation ne peut procéder que des pratiques de "mise en commun".
Pierre Dardot est philosophe ;
Christian Laval est sociologue.
(1) Christian Laval vient aussi de publier Marx au combat (Thierry Magnier, 150 p., 8,90 €.).
Propos recueillis par Nicolas Truong, Article paru dans l'édition du 05.02.10
http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/02/04/pierre-dardot-et-christian-laval-une-mise-en-scene-de-la-revolution_1300966_3260.html
Extrait (<공산당선언> 발췌)
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Le bréviaire de toute l'Europe révolutionnaire
LE MONDE DES LIVRES | 04.02.10 | 12h42
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A l'époque de sa rédaction, la vague insurrectionnelle qui déferle sur l'Europe menace les monarchies du "spectre" communiste, comme l'illustre la révolution française de 1848 qui aboutit à la chute de Louis-Philippe et à l'avènement de la IIe République.
La mise en scène du mouvement de l'histoire mondiale par celle de la lutte des classes y est particulièrement frappante. De l'Antiquité à la révolution industrielle, l'opposition entre la classe exploiteuse, qui détient les moyens de production, et celle des exploités, condamnée à vendre sa force de travail, a, selon Marx et Engels, scandé le destin de l'humanité. Au milieu du XIXe siècle, la lutte s'est radicalisée entre les bourgeois et les prolétaires. Des conditions historiques inédites permettraient même à ces derniers de renverser les premiers. Ce que nous appelons "mondialisation" y est également habilement analysé, tout comme le socialisme "petit-bourgeois " y est sévèrement brocardé.
Ce qui saisit tout autant, c'est la façon dont Marx et Engels critiquent un monde chahuté par le mouvement permanent qui soumet la totalité de l'existant au règne de l'argent. "Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde : ce qui importe, c'est de le transformer", écrivait Marx dans les Thèses sur Feuerbach (1845). C'est peu dire que les auteurs du Manifeste y sont arrivés.
Nicolas Truong
Article paru dans l'édition du 05.02.10
http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/02/04/le-breviaire-de-toute-l-europe-revolutionnaire_1300967_3260.html#ens_id=1247715
Communisme, un spectre philosophique (外1) LE MONDE DES LIVRES | 4 février 2010 | Jean Birnbaum | 1030 mots Vingt ans après la chute du mur de Berlin, l'"idée" communiste est redevenue un étendard pour plusieurs intellectuels de renom. Philosophes ou sociologues, ils s'inspirent du récit marxiste pour essayer de tracer un nouvel horizon d'émancipation. |
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LE MONDE DES LIVRES | 04.02.10 | 12h11 • Mis à jour le 04.02.10 | 12h11
Karl Marx refusait qu'on réduise le communisme à une idée. Prenant soin de distinguer sa doctrine et celle des socialistes "utopiques", il martelait que son programme ne saurait être confondu avec une fantasmagorie abstraite, née dans "le ciel embrumé de l'imagination philosophique". Depuis, ceux qui ont été formés à son école conservèrent souvent cette conviction : si le communisme est autre chose qu'une chimère, c'est parce qu'il épouse le cours impétueux de l'histoire dans ce qu'elle a de plus matériel - emballement des forces productives, déploiement de la lutte des classes.
Une telle façon de voir a structuré la polémique marxiste tout au long du XXe siècle. Ainsi, en 1995, lorsque l'historien François Furet publia son best-seller, Le Passé d'une illusion (Robert Laffont/Calmann-Lévy), ses détracteurs renouèrent avec cet argument. Furet prétend déconstruire la "mythologie" soviétique ? Fort bien, disaient-ils, mais son récit est exclusivement intellectuel ; sous sa plume, l'histoire est un drame métaphysique, qui méconnaît les rapports de force concrets recouverts par telle ou telle option doctrinale ; bref, il fait du communisme une "idée". Or "l'efficacité d'une "idée" ne se détache pas d'une dynamique sociale et politique", rappelait Claude Lefort dans La Complication (Fayard, 1999).
Et pourtant, par l'une de ces pirouettes ironiques dont le marxisme a le secret, le destin actuel de cette espérance semble donner raison à Furet : elle se confond de plus en plus avec une pure "idée". Car, du point de vue social et politique, le communisme représente désormais "un monde défait", pour reprendre le titre d'un ouvrage signé Bernard Pudal (voir page 7). Et si le fameux "spectre" hante encore nos consciences, c'est surtout sous la forme d'un fantôme philosophique. Son nom résonne moins dans les rassemblements de masse que dans les meetings savants. En témoigne le colloque organisé à l'université Paris-VIII par la Société Louise Michel et le philosophe Daniel Bensaïd (mort dix jours avant la réunion), les 22 et 23 janvier, sur le thème "Puissances du communisme". En atteste aussi le recueil collectif qui vient de paraître sous la direction des philosophes Alain Badiou et Slavoj Zizek, et qui rassemble les interventions d'une conférence internationale tenue à Londres en mars 2009. Son titre ? L'Idée du communisme.
En 2007, dans le pamphlet qui a fait de lui une star médiatique, De quoi Sarkozy est-il le nom ? (Ed. Lignes), Alain Badiou avait tranché : "Sans l'horizon du communisme, sans cette Idée, rien dans le devenir historique et politique n'est de nature à intéresser le philosophe." Et voilà un signe d'époque : deux ans plus tard, c'est-à-dire vingt ans après la chute du mur de Berlin, le "communisme" est aussi redevenu un étendard pour des figures intellectuelles aussi connues que Jacques Rancière, Toni Negri, Terry Eagleton, Gianni Vattimo ou Jean-Luc Nancy. Lors de la conférence de Londres, tous ont affirmé leur attachement à ce "vieux mot magnifique" qui continue de nommer, par-delà la malédiction marchande, l'urgence d'une justice à venir.
Fable de philosophes, dira-t-on. Qu'importe, répond Badiou, car "l'Idée expose une vérité dans une structure de fiction". L'essentiel consiste à sauvegarder le grand scénario de l'émancipation. Ainsi chacun y va-t-il de sa propre séquence, pour esquisser le récit d'un monde où les libertés seraient mises en commun. "Le communisme ne relève donc pas de la politique, écrit Jean-Luc Nancy. Il donne à la politique un requisit absolu : celui d'ouvrir l'espace commun au commun lui-même." Le philosophe italien Toni Negri insiste également sur les "dispositifs du commun", et décrit l'éthique communiste comme "une articulation généreuse et créative de la puissance des pauvres, un désir commun d'amour, d'égalité et de solidarité". Quant à Jacques Rancière, il définit le communismecomme le "pouvoir de n'importe qui", et assure que "le futur de l'émancipation peut seulement consister dans le développement autonome de la sphère du commun créée par la libre association des hommes et des femmes qui mettent en acte le principe égalitaire". Commentant le théâtre de Shakespeare, le Britannique Terry Eagleton affirme de son côté le caractère sublime d'un communisme qui seul "peut nous permettre à nouveau d'éprouver physiquement nos corps".
Dans le ciel des Idées
Les corps, justement, parlons-en. A force de rabattre l'élan communiste sur le tranchant de la Vérité platonicienne, Badiou, Zizek et leurs hôtes oublient la dimension existentielle de l'engagement comme insurrection charnelle, comme soulèvement de l'âme. A force de se tenir dans le ciel des idées, ils contournent les débats stratégiques qu'engageraient l'épreuve du social et la confrontation avec le monde sensible. A force de généralités conceptuelles, de formalisme exalté, ils esquivent surtout cette douloureuse affaire : le pouvoir. L'Italien Alberto Toscano est le seul à évoquer frontalement cette dimension : "Précisément parce que le communisme ne peut être séparé du problème (...) de sa réalisation, il ne peut non plus être séparé de la question du pouvoir", rappelle-t-il.
De ce vieux questionnement, et de tous ceux qui vont traditionnellement avec (parti, discipline, violence...), les auteurs se tiennent soigneusement à l'écart. Cela vaut peut-être mieux, se prend-on à songer en observant les rares incursions qu'ils opèrent au sein de la politique profane : tandis que Zizek entonne une ode à l'autocrate populiste Hugo Chavez, la philosophe américaine Susan Buck-Morss plaide pour une écoute attentive des textes écrits par Sayyid Qutb (1906-1966), l'un des fondateurs de l'islam radical : "Ce n'est pas sa reprise de la charia mais son sauvetage du coeur révolutionnaire de la théologie qui fait l'universalité radicale de la position de Qutb", note-t-elle.
De génération en génération, l'"idée" communiste a mené ses amis sur quelques sentiers glorieux. Elle les a aussi entraînés dans maints combats douteux. Hier, cette ambivalence faisait l'objet de violentes querelles entre historiens, qui se déchiraient sur les crimes attachés aux noms de Staline ou de Mao. La voilà désormais en apesanteur dans les hautes sphères de la philosophie radical chic. Au risque d'une certaine amnésie et de quelques non-dits.
"Comptes non réglés"
"Ces contradictions et ces apories renvoient au refus de l'histoire et aux comptes non réglés avec le stalinisme", écrivait Daniel Bensaïd dans un texte consacré à Alain Badiou. De fait, il y a quelque chose de périlleux à relancer "l'hypothèse" communiste sans avoir tiré les leçons du sanglant XXe siècle. Or dans son introduction au présent recueil, la seule fois où Badiou évoque la critique du stalinisme, c'est pour affirmer que "Mao l'a plus qu'esquissée dans nombre de ses textes".
L'IDÉE DU COMMUNISME. CONFÉRENCE DE LONDRES, 2009 sous la direction d'Alain Badiou et Slavoj Zizek. Ed. Lignes, 352 p., 22 €.
Jean Birnbaum, Article paru dans l'édition du 05.02.10
Slavoj Zizek et la politique de l'incantation
LE MONDE DES LIVRES | 04.02.10 | 12h11
http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/02/04/slavoj-zizek-et-la-politique-de-l-incantation_1300958_3260.html
Slavoj Zizek est habité par la compulsion de répétition. De livre en livre, ce roi du copier-coller reproduit les mêmes phrases, les mêmes pages. Lors d'un entretien réalisé en 2006, on le lui fit remarquer. Le philosophe slovène nous répondit ceci : "Oui, j'en ai conscience. Mais je crois que le changement véritable, ce n'est pas de dire quelque chose de nouveau, c'est de se répéter en introduisant de petites variations cruciales. Voilà pourquoi il y a une sorte de folie dans mon écriture."
Cette manie suscite souvent la fascination. Aux quatre coins du monde, commente Zizek avec esprit de sérieux. Mêlant notions lacaniennes, références hollywoodiennes et blagues scatologiques, ses essais appellent une attention flottante. Un peu comme celle qu'un étudiant accorde au fou qui marmonne en face de lui, à la bibliothèque : il lui prête l'oreille, car à chaque instant, ici, peuvent jaillir des fulgurances.
Lu ainsi, le dernier Zizek est édifiant. On y trouvera des réflexions élaborées à partir de tel ou tel film d'animation : l'auteur brosse par exemple un portrait de Berlusconi en Kung-fu Panda. Pour le reste, il proclame sa fidélité à "l'Idée" abstraite du communisme. Il ne s'agit pas de relancer l'espérance révolutionnaire en opérant un retour critique sur le passé. Mais plutôt de défier les puissants sur le mode de la fanfaronnade : "Le chantage moralisateur libéralo-démocratique a fait son temps. De notre côté, nous n'avons plus à présenter nos excuses, tandis que du leur ils devraient le faire sans tarder", écrit-il. Na !
Comme tous les mouvements régressifs, cette politique incantatoire ne trace aucun avenir glorieux. Au contraire, elle s'adosse à une vision pessimiste de l'humaine destinée, où les militants ne trouveront qu'un désastre annoncé. "J'affirme ici que l'Idée communiste persiste, dit Zizek. Elle survit à l'échec de sa réalisation tel un spectre s'en revenant encore et encore, dans une persistance sans fin qu'expriment au mieux ces mots de Cap au pire, de Beckett : "Essayer encore. Rater encore. Rater mieux"." D'où le recours à une sorte de méthode Coué pour marxistes désespérés. A ses frères de malheur, Zizek propose de reprendre en boucle cette devise de Mao : "Tout ce qui est sous les cieux est en chaos total ; la situation est excellente."
APRÈS LA TRAGÉDIE, LA FARCE ! OU COMMENT L'HISTOIRE SE RÉPÈTE de Slavoj Zizek. Traduit de l'anglais par Daniel Bismuth. Flammarion, "Bibliothèque des savoirs", 252 p., 20 €.
Jean Birnbaum, Article paru dans l'édition du 05.02.10
흔히 지젝을 '세계에서 가장 위험한 철학자'라고 말들하지만, 위험하다는 말에는 상당한 정도의 칭찬의 의미도 은연중에 함축되어 있겠기에 이 별명은 좀 지나친 감이 있다고 여겨지는데, 마침 위의 글에서 글쓴이가 지젝에게 더 적절한 별명을 지어준다 : "똑같은 내용을 기막히게 재생산해내는 '짜집기의 대왕'(roi du copier-coller)". 비슷한 내용의 책을 1년에도 몇 권씩이나 내는 작가이다보니 하는 말인 모양이다. 이에 대한 지젝은 답은 이렇다 : "나도 안다. 그러나 진정한 변화란 뭔가 새로운 것을 말하는 것이 아니라, 작지만 중요한 변주기재(variations)를 끌어들이면서 자기반복하는 것이라고 나는 믿는다. 그래서 내 글에는 일종의 광기(folie-광증/미친짓)가 있다." 여기서 변주기재의 최근 예로는 레닌, 로베스삐에르 등이 되겠다. 기사 아래에 소개된 책의 출판 소식과 '관련 최근 지젝 인터뷰 기사'는 다음을 참고하라: http://signesdulevain.textcube.com/153
* 링크만 걸지 않고 기사를 퍼다두는 이유는 르몽드의 지난 기사들은 시간이 지나면 모두 유료로 변하기 때문이다.
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