2009년 12월 26일 토요일

Marcuse,55,63-fr) Eros et Civilisation

Herbert Marcuse. Eros et Civilisation, Contribution à Freud
par Violette Morin, Communications,  Année 1965,  Volume 6, Numéro 6, pp. 143-144
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1965_num_6_1_1077

 

Livres - Eros Et Civilisation

NOTES DE LECTURE : Herbert Marcuse, Eros et Civilisation, Contribution à Freud, traduit de l'allemand par J. G. Nény et B. Fraenkel, Paris, éd. de Minuit, 1963, 239 p.

 

Nous vivons dans une société de Consommation. Nous constatons avoir dépassé un peu et agréablement la mesquinerie harpagonesque de nos prédécessseurs, qui consistait à nous faire manger pour vivre et consommer pour produire. Aujourd'hui, nous pensons qu'il vaut mieux, puisqu'on est assez riche pour le faire, vivre pour manger et produire pour consommer.

 

Il s'agit donc de produire pour consommer, mais pour consommer quoi ? Pour Marcuse, la société peut devenir, par un biais, idéalement freudienne, puisqu'elle applique presque à la lettre les suggestions de Freud. Nous savons depuis Freud que toute consommation, dans le plaisir qu'elle procure et quelle que soit la zone d'ingestion, est fondamentalement une consommation libidinale. Cette consommation fondamentale est retrouvée dans l'air de notre économie. La société, devenue consciente du plaisir adolescent de consommer, et toute intéressée économiquement à le développer, s'applique à rendre ses concitoyens de plus en plus aptes à la consommation ; elle s'applique à les vitaliser, à les exciter, en quelque sorte, pour qu'ils en demandent toujours davantage. Pour servir ce commun projet de plaisir et d'argent, la société ne pouvait rien trouver de mieux raisonnablement, jusqu'à ce jour, que l'instinct sexuel : le plaisir privilégié et rajeunissant par excellence va donc être le plaisir erotique. Herbert Marcuse, au bout de son analyse, arrive à ce tournant libidineux, si je puis dire, en écrivant : « Le principe de plaisir s'étend à la conscience ; Eros redéfinit la raison en ces propres termes : est raisonnable ce qui protège l'ordre de la satisfaction. » II y a là un renversement copernicien à l'intérieur du couple historiquement antinomique, Eros et civilisation ou, en termes plus freudiens, à l'intérieur du couple antinomique : principe de plaisir et principe de réalité. Nous voyons bien, en effet, que la civilisation moderne a perdu ses formes tabouistes d'interdiction vis-à-vis d'Eros ; elle ne le structure plus tellement par la répression ; il semblerait au contraire qu'Eros soit appelé à dicter, à structurer la civilisation. Freud avait bien envisagé cette possibilité, mais seulement comme un rêve irréalisable, puisqu'en définitive il pose un rapport répressif inaliénable entre Eros et société. Marcuse, en cela néo-freudien, revient sur ce rapport, le soupèse du non-répressif au répressif et reconnaît finalement qu'il n'est plus inaliénable, mais réversible et d'une réversion légèrement ébauchée dans la société moderne, dans la mesure où commence à devenir raisonnable « ce qui protège l'ordre de la satisfaction ».

 

Ce renversement copernicien est donc non seulement pensable, mais réalisable, et serait presque réalisé, s'il n'y avait, constate inversement Marcuse, une répression d'un nouveau genre qui rend presque mort-née dans les sociétés modernes la libération erotique projetée. Il y a, pour Marcuse, dans la société moderne, une aliénation erotique croissante, parallèle à une non-répression erotique croissante. En effet, la civilisation moderne, dite de Consommation, soumet son principe de réalité à un nouveau principe, celui du Rendement, qui appa-[143]-raît comme un nouveau facteur d'aliénation. Travailler pour consommer est un bon départ, mais qui risque de tourner court en prenant de la vitesse. Le travail ennuyeux risque fatalement de s'amenuiser au bénéfice de la consommation heureuse. La société combat ce risque de consommation abusive en donnant un but au travail, un but extra-libidinal, qui rende de nouveau le travail nécessaire en dehors de la jouissance immédiate de ses produits. Il faut alors travailler pour quelque chose d'autre. Ce quelque chose, impératif dans les sociétés qu'on a appelées totalitaires, est proposé dans toutes les autres : qu'il faille travailler pour la race, pour l'ordre, pour la nation, pour la collectivité, pour le plan quinquennal, pour la gloire ou pour l'avenir, il faut travailler vite pour avoir un rendement élevé et dans des buts incernables. Ce principe du rendement aux mille facettes place le but du travail en dehors ou très loin du travail lui-même, de son rythme humain de réalisation et du plaisir propre à ce rythme. Le machinisme moderne donne donc plus que jamais au travail un but extra-libidinal, c'est-à-dire tout à fait étranger au plaisir individuel de le créer, de l'assumer et d'en profiter directement. Même s'il s'agit de proposer des buts nobles, surtout nobles, il ne peut s'agir finalement que de supprimer le plaisir vivant de travailler. On finit ainsi par soumettre l'homme à la pire des aliénations puisqu'on l'entraîne à glorifier, dans ces buts nobles, sa propre frustration, sa propre déshumanisation. A l'optimisme néo-freudien de Marcuse succède immédiatement un pessimisme qui finit rétroactivement par compromettre cet optimisme lui-même.

 

L'aliénation sociale de l'homme est donc croissante dans la civilisation présente, en dépit des possibilités magistrales de non-répression erotique que la société recèle. Devant ces constatations pessimistes, Marcuse ébauche des perspectives de plaisir rationnel et rentable, qui vise à changer la psycho-sociologie du travail. Ne pas donner malhonnêtement de but, même noble, au travail, mais réussir à l'accompagner, quel que soit son contenu, d'une « réactivation de l'érotisme pré-génital polymorphe : il tendrait ainsi à devenir satisfaction de soi sans pour autant perdre son contenu de travail ». Autrement dit, le travail se ferait sans l'obsession du pourquoi-on-le-fait et de la vitesse à laquelle on le fait. Il se ferait avec l'envie satisfaite de le faire à son propre rythme et de le faire bien. Il laisserait ainsi l'individu libre d'y canaliser, selon sa libido, une sorte de jouissance polymorphe qui ferait corps avec l'activité laborieuse sans l'obstruer. Autrement dit, il s'agirait si l'on veut de retrouver l'érotisme polymorphe de l'enfant, puisque l'enfant remplit de plaisirs libidineux toutes les activités de sa journée, sans se soucier de l'efficacité, ou de la rentabilité, ou de la dignité de cette activité. On sait que l'enfant fait très bien tout ce qu'il fait avec plaisir, et c'est sans doute quand il joue à travailler qu'il travaille le mieux. Il s'agit donc de retrouver par la sagesse l'état de grâce libidinale de l'enfance.

 

Cette perspective, hélas, Marcuse la propose seulement comme un rêve. La société technicienne d'aujourd'hui canalise ses propres richesses dans des travaux qui les épuisent avant leur épanouissement libidinal et frustrent finalement le travailleur autant et plus que les tabous répressifs des sociétés précédentes. Il y a donc, posée par Marcuse et inhérente à notre société, une possibilité de libération erotique, donc d'optimisme, mais d'un optimisme qui vire immédiatement au pessimisme comme un lait pollué, à cause de ce principe du Rendement que la technicité moderne nous contraint à adopter. La société moderne des Rendements à tous les niveaux impose à l'individu des buts et des précipitations dans le travail qui pulvérisent l'auto-jouissance propre au travail lui-même.

Resterait à se demander si le rêve ébauché par Marcuse est encore entièrement un rêve. Ne contient-il pas les prémisses d'une prochaine réalisation ? (par Violette Morin) [144]

 

 

cf. [video] Herbert Marcuse (1898~1979)

Émission:Temps présent, Durée:3'31'', Date:14.06.1971, Réalisateur:François Moreuil
http://archives.tsr.ch/player/personnalite-marcuse
Dans le cadre d'un reportage sur les progrès de la science, Temps présent interroge le philosophe américain d'origine allemande Herbert Marcuse, professeur aux Etats-Unis. La pensée de Marcuse sur la société de consommation a largement influencé les mouvements de gauche qui s'engagèrent dans les événements de Mai 68. Dans cet entretien, le philosophe considère que la société industrielle avancée n'est pas dominée par les sciences, mais par des groupes sociaux qui contrôlent l'usage de la science. Or, le but de celle-ci est l'amélioration de la condition humaine; la science étant détournée et asservie au pouvoir, la gauche doit viser à sa libération.

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